Développer la culture du Readiness
La période de fin d’année est généralement mise à profit pour établir le bilan de l’année écoulée et définir les objectifs de la nouvelle. En parcourant les journaux, éditoriaux et émissions qui se sont prêtés au jeu du bilan annuel, pour la Défense, l’affaire Jürgen Conings et l’opération d’évacuation Red Kite conduite l’été passé ont atteint, sans surprise, le top 10. J’y ajouterais sans hésitation les nombreuses activités d’appui à la population dans le cadre de la lutte contre le Covid ou les inondations. Mais ce que je retiens surtout de cette année 2021 pour le moins mouvementée et/ou bousculée c’est notre faculté à nous adapter, à rebondir, à faire face à l’adversité aussi, en d’autres mots, je retiens notre résilience tant mentale qu’organisationnelle. Ce constat m’incite à rester optimiste et confiant quant à l’avenir de la Défense. Confiance d’autant plus nécessaire que nous nous sommes réveillés en 2022 au milieu d’une crise géopolitique aux frontières orientales de l’Europe et en plein rétablissement d’une attaque cyber particulièrement percutante. Si certains se sont hasardés au jeu des « bonnes résolutions » celles-ci sont probablement déjà dépassées par ces événements qui font l’actualité et qui y resteront sans doute encore quelques temps. Nous vivons une période intéressante où la sécurité sur notre continent est sous une pression rarement atteinte dans le passé.
Nous assistons en effet à un véritable changement de paradigme amorcé déjà depuis 2014/2015. Si nos activités opérationnelles s’inscrivaient alors essentiellement dans le cadre de la « sécurité collective » caractérisé par les nombreuses opérations expéditionnaires menées au cours des dernières années, le contexte géostratégique se réoriente désormais vers celui de la « défense collective ». La crise ukrainienne, les attaques cyber, de plus en plus fréquentes et sévères, ou encore l’utilisation de méthodes hybrides pour déstabiliser, diviser ou influencer nos sociétés, doivent nous faire réaliser que nous risquons de basculer définitivement (?) vers une nouvelle réalité. Et cette prise de conscience ne se limite plus au cercle restreint de militaires, de certains académiques ou de politicologues. Par nos déploiements dans les pays baltes et en mer baltique nous contribuons depuis plusieurs années déjà au concept de dissuasion de l’OTAN qui s’inscrit totalement dans la mission de « défense collective » du territoire de l’Alliance. Cette mission requiert des états membres, dont la Belgique, qu’ils contribuent aux différentes forces de réactions selon les engagements pris et les préavis requis. Dans les faits, cela consiste à fournir des unités opérationnelles, équipées et entraînées, prêtes à être engagées dans des opérations de haute intensité, voire à intervenir dans des conflits. Et j’ajouterais, surtout, de pouvoir tenir dans la durée. Cela touche l’état de préparation de nos unités, le Readiness, et la profondeur de notre organisation, la sustainability.
Connaissant nos lacunes actuelles, nous savons qu’il y a du travail, tant pour développer et atteindre les niveaux de compétences requises que pour réaliser cette « profondeur », cette robustesse indispensable à l’accomplissement de de nos missions. Pour une organisation en pleine transition telle que la nôtre, l’objectif n’est pas simple et nous connaissons l’ampleur du chantier. C’est un travail de transformation, d’adaptation voire de (re)construction, qui prendra du temps. La bonne nouvelle est que ce travail est déjà en cours. Il se traduit dans toutes les capacités, y compris dans les nouveaux domaines opérationnels tels que le cyber et l’espace. Mais qu’est-ce que cela représente réellement pour notre quotidien, dans les unités et dans les états-majors ?
Le travail englobe toutes les facettes de notre organisation, à savoir le personnel, la structure, l’entrainement, le matériel ou encore l’infrastructure. La modernisation de notre matériel a été lancée par la Vision Stratégique et pourra continuer grâce à l’actualisation de celle-ci, récemment décidée par le gouvernement. Tous les efforts et les initiatives dans le domaine du personnel, le recrutement, ont pour objectif de compléter les effectifs de nos unités. Avec les bons équipements, véhicules, systèmes d’armes et de communication – terrestre, aériens ou navals – ainsi que les appuis médicaux et logistiques, les conditions de base pour un entrainement adéquat sont en place. Il permettra de développer des programmes d’entraînement de plus en plus complexes de manière à acquérir l’expertise indispensable pour opérer de manière efficace et sûre. C’est valable tant pour les capacités de combat que celles d’appui, logistique ou autre. Pour pouvoir s’entraîner et opérer il faut aussi des vivres, du carburant, des munitions, des dossiers et « contrats » gérés généralement à d’autres niveaux et par d’autres personnes dans notre état-major. L’adéquation des besoins des uns avec les moyens gérés par d’autres requiert de la coordination, de la cohérence et nécessite, parfois, des prises de décisions afin d’arbitrer des situations « conflictuelles ». Il faut surtout s’accorder sur les priorités afin d’y allouer les ressources budgétaires indispensables à leur réalisation. C’est donc un important travail d’équipe où tout le monde a son rôle à jouer, quelle que soit sa fonction.
La force d’une équipe réside dans sa cohésion, dans l’adhésion à des objectifs communs et dans la consistance des efforts. Des processus bien définis et des méthodes de coordination efficaces en sont des fondements clés. Mais l’équipe sera d’autant plus forte qu’elle partagera un état d’esprit positif, volontariste, agile, adapté au contexte dans lequel elle travaille. Les quelques décennies de déconstruction de l’appareil militaire au sein d’une structure axée principalement sur l’efficience ont laissé des traces dans notre manière de penser, d’agir, de décider, souvent de manière très formatée par des processus très rigides. Or, le contexte géopolitique et le message politique clair que nous venons de recevoir nous offrent une opportunité unique de définitivement laisser ce passé derrière nous. Et je suis intimement convaincu que vous êtes prêts à la saisir. Lors de toutes mes visites, je perçois en effet énormément de motivation, de créativité, de disponibilité et d’agilité mentale en plus du focus nécessaire sur l’opérationnalité, la sécurité et l’effectivité. A mes yeux, le changement de mindset est déjà perceptible et c’est très encourageant !
Notre métier qui consiste à nous préparer pour toutes les opérations que le gouvernement nous attribuerait, requiert un tel état d’esprit. Que ces missions soient de haute intensité, voire dans des conflits, qu’elles se déroulent dans le cadre de la sécurité collective ou de l’aide à la nation, nous devons être efficaces dans toutes les situations. C’est dans cet état d’esprit que nous devons continuer à travailler, durement. Nous devrons mériter nos succès. Enfin, c’est aussi dans cet état d’esprit que nous devons accueillir et accompagner la jeune génération qui nous rejoint en grand nombre.